La technique secrète qui transforme vos PDF en forteresses numériques

Close-up view of a high-end scanner display showing cryptic error symbols and red warning lights, with visible EURion constellation patterns glowing on a document being rejected, dramatic lighting with red and blue accent colors, photorealistic render, tech thriller aesthetic –ar 16:9 –v 7

Vous avez déjà vu un scanner professionnel à 5000 balles qui refuse net de faire ce pour quoi on l’a conçu, à savoir numériser votre foutu document ? Aucune erreur technique, pas de bourrage papier. Mais juste un refus catégorique, comme si votre feuille A4 était radioactive.

Et bien cette scène surréaliste, c’est exactement ce qui se passe quand on intègre la constellation EURion dans un document parfaitement normal. Et le plus beau dans tout ça c’est que c’est parfaitement légal de détourner cette technologie bancaire pour protéger vos propres fichiers.

La constellation EURion, pour ceux qui viennent de naitre ou qui traverse la vie sans s’accrocher aux connaissances, c’est ce pattern de symboles intégrés dans les documents sécurisés depuis 1996. Cinq petits cercles innocents, disposés d’une manière ultra-précise, qui font bugger instantanément n’importe quel scanner ou photocopieur moderne. Markus Kuhn, le chercheur qui a découvert ce système en 2002, l’a baptisé ainsi à cause de sa ressemblance avec la constellation d’Orion.

Par exemple, sur un billet de 20 euros, ces cercles sont partout. Camouflés en têtes de notes de musique sur les livres sterling britanniques, transformés en petits zéros jaunes sur les dollars américains, ou déguisés en fleurs sur les yens japonais. Un système de protection invisible à l’œil nu mais redoutablement efficace.

Martin Scharm, un développeur malin, a eu l’idée géniale de tester cette protection avec LaTeX. Après plusieurs essais pour trouver les bonnes dimensions, il a publié sa méthode sur GitHub. Le code tient en une ligne :

includegraphics[width=7mm]{EURion.pdf}

Sept millimètres pile. Pas 6, pas 8. La précision chirurgicale est cruciale – un millimètre d’écart et votre protection part en fumée. C’est de la haute couture numérique, où chaque pixel compte.

Maintenant, soyons transparents sur l’efficacité réelle. Un développeur sur Stack Overflow a confirmé avoir bloqué avec succès un copieur Ricoh, mais tous les appareils ne sont pas sensibles à l’EURion. Les modèles récents intègrent généralement cette détection, les anciens passent à travers sans broncher.

Le plot twist dans cette histoire ? Adobe Photoshop utilise un système complètement différent pour détecter les billets. Pas d’EURion chez eux, mais un filigrane numérique invisible développé par Digimarc, le fameux Counterfeit Deterrence System (CDS). Résultat : même si vous réussissez à scanner votre document protégé par EURion, Photoshop refusera catégoriquement de l’ouvrir.

Ce qui devient vraiment inquiétant, c’est l’usage détourné de cette technologie. Des éditeurs de livres intègrent maintenant ces points sur certaines pages pour bloquer toute copie, même dans le cadre légal du fair use. Un DRM physique imposé sans votre consentement, directement imprimé sur le papier que vous avez acheté.

Pour les amateurs de protection renforcée, LaTeX offre d’autres techniques vicieuses. On peut créer des PDF où le texte copié-collé devient du charabia complet, ou transformer entièrement le document en image rasterisée. L’OCR reste possible, mais ça complique sérieusement la tâche aux indiscrets.

Les cas d’usage légitimes ? Protection de contrats ultra-sensibles, documents juridiques confidentiels, tirages photographiques en édition limitée, manuscrits avant publication, plans techniques sous NDA… Ou simplement pour le plaisir pervers de voir votre collègue s’énerver contre le photocopieur qui refuse obstinément de copier votre rapport mensuel.

L’ironie de l’histoire, c’est qu’on détourne une technologie conçue pour protéger la monnaie des États pour sécuriser nos petits documents perso. C’est l’équivalent numérique d’utiliser un bunker antiatomique comme abri de jardin – totalement disproportionné mais techniquement impeccable.

Petite réalité check quand même : cette protection n’est pas infaillible. Un smartphone avec une bonne app OCR se moque éperdument de vos cercles magiques. Les scanners professionnels récents sont régulièrement mis à jour pour détecter l’EURion, mais les vieux modèles de bureau passent souvent à travers. C’est une course technologique permanente entre protection et contournement.

Au final, la constellation EURion reste une curiosité technologique fascinante. Un easter egg de sécurité planqué dans nos poches, détournable pour nos propres besoins avec un peu d’astuce et de LaTeX. Pas la solution miracle de protection documentaire, mais clairement la plus élégante à implémenter pour impressionner les collègues.

Source : https://binfalse.de/2016/02/08/create-an-unscanable-letter/